Face à l’impact croissant du changement climatique sur l’enneigement, les stations de Savoie et Haute-Savoie, piliers du tourisme hivernal français, sont à la croisée des chemins. Pour repenser des modèles touristiques et économiques plus responsables, les acteurs du tourisme et les collectivités se mobilisent. La 21e étape des Routes des transitions est allée à la rencontre de ceux qui portent une vision ambitieuse du tourisme alpin, fondée sur l’expérimentation, la coopération et la durabilité.
Pour Mathieu Dechavanne, PDG de la Compagnie du Mont-Blanc, la réalité climatique est alarmante. « Le scénario rouge imaginé avec les scientifiques en 2013 pour anticiper la fonte du glacier de la Mer de Glace est déjà dépassé, même explosé », alerte-t-il. Face à des infrastructures fragilisées par la fonte du permafrost et la multiplication des événements extrêmes, la compagnie prône une gestion anticipatrice et transparente, où « tout ce que nous entreprenons désormais doit être réversible, sans impact durable sur l’environnement. »
Au-delà des aspects techniques, Mathieu Dechavanne insiste sur une réflexion globale, notamment le transport et le logement. Il souligne la nécessité de préserver une main-d’œuvre locale en garantissant l’accès au logement pour éviter un sentiment de désappropriation. La mission de la Compagnie est également de « rendre accessible à chacun ces paysages », tout en menant une action de « pédagogie auprès de la clientèle » sur les enjeux environnementaux.
Bruno Clément, directeur du développement de MMV, observe de près les mutations du tourisme en montagne. « Aujourd’hui, près de 15 % de nos lits, soit un peu plus d’un millier, se trouvent directement exposés aux risques liés au dérèglement climatique, de plus en plus tangibles en montagne », constate-t-il. Pour MMV, l’avenir repose sur une adaptation profonde des infrastructures, des modes d’accueil et des services proposés aux vacanciers. Bruno Clément observe une évolution de la clientèle vers des expériences « multi-activités » où « la connexion au territoire est essentielle. » Il prône des résidences intégrées au cœur des communes, favorisant l’emploi local et préservant l’authenticité des stations. La réponse d’une approche écosystémique est nécessaire : « L’époque où chaque acteur travaillait seul est révolue. Aujourd’hui, il faut absolument repenser l’articulation entre acteurs privés et collectivités », insiste-t-il, soulignant l’importance de la collaboration et du partage de valeur.
Michaël Tessard, à la tête de la SPL Domaines Skiables des Saisies (77 km de pistes), tire la sonnette d’alarme : « On est au pied du mur. Le réchauffement climatique, ce n’est pas demain, c’est maintenant ! » Face à cette urgence, des décisions stratégiques profondes sont difficiles mais nécessaires, à commencer par la réorganisation profonde du modèle économique local. Si la SPL réalise encore 97 % de son chiffre d’affaires grâce au ski, « ce n’est pas tenable à long terme. On doit absolument diversifier notre activité, même si les premiers pas sont encore modestes », reconnaît-il. Des projets de loisirs multi-saisons et de parcs sont en cours de développement.
L’attractivité naturelle et l’ambiance authentique des Saisies sont des atouts, mais ne suffisent plus. « Notre territoire doit évoluer de façon écosystémique », insiste Michaël Tessard. L’éducation des clients sur les enjeux environnementaux devient primordiale : « Nous avons une mission pédagogique : expliquer les changements, les contraintes environnementales, et inviter notre clientèle à adopter de nouvelles habitudes. » La collaboration avec les autres stations de l’Espace Diamant est également essentielle pour organiser des connexions et mutualiser les investissements face à l’évolution de l’enneigement.
Laurie Souvignet, directrice générale de l’office de tourisme intercommunal Aix-les-Bains Riviera des Alpes, porte une vision ambitieuse : « Notre intention, c’est que chaque visiteur laisse le territoire dans un meilleur état que lorsqu’il est arrivé. » Cette approche du tourisme régénératif nécessite une large concertation et une approche globale, interdépendante, combinant tourisme, économie et résidentiel, car « on ne peut plus traiter ces enjeux séparément. Il faut sortir des logiques de silos. »
Face à la vulnérabilité des modèles touristiques actuels, Laurie Souvignet souligne que « le modèle de performance permanente n’est plus tenable. Nous devons apprendre à évoluer avec les crises, à expérimenter et mesurer sans cesse. » Pour réussir cette transition, elle appelle à « protéger les entreprises qui expérimentent » et à encourager l’innovation au bénéfice de l’intérêt commun, en dépassant la « logique purement économique ». Concrètement, l’office de tourisme développe un « outil de diagnostic capable de mesurer chaque projet touristique à l’aune de la régénération », un guide pour des choix ayant un impact positif tangible. Le tourisme régénératif vise ainsi à réparer et améliorer activement la santé des territoires.
Instance politique du Crédit Agricole, la Fédération nationale du Crédit Agricole est une association loi 1901. Ses adhérents sont les Caisses régionales, représentées par leurs présidents et leurs directeurs généraux.
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