[Etape 23] Sur les Routes des Transitions en Sud Méditerranée

La 23^ème étape des Routes des Transitions nous conduit dans le Sud de l’Occitanie. Entre mer et montagne, la région est confrontée à une extrême sécheresse et une extrême densité. Ici des acteurs se sont emparés de ces sujets pour y apporter des réponses concrètes.

Le Groupe Vaills : Pionnier du béton vert et de l’eau recyclée à Perpignan

Dans un monde où les ressources naturelles se raréfient, le groupe Vaills, entreprise familiale de Perpignan forte de quatre générations de carriers, se distingue par son approche audacieuse et circulaire. Dirigée par Jean et Jérôme Vaills, l’entreprise a développé le Recycat 66, un béton recyclé innovant, ou « béton vert », fabriqué à partir de gravats de chantiers. Cette prouesse technologique permet de réutiliser jusqu’à 90 % des déchets de construction grâce à un processus complexe en sept étapes. Le groupe Vaills transforme ainsi un déchet en une ressource précieuse, réduisant considérablement son empreinte écologique et la pression sur les carrières naturelles.

Leur engagement ne s’arrête pas là. La production du Recycat 66 nécessite une quantité importante d’eau pour le lavage des matériaux (jusqu’à 1 600 m³/heure), mais cette eau est recyclée à 99 % via un système sophistiqué de décantation et de filtration. Cette démarche de sobriété hydrique exemplaire illustre leur volonté de travailler en circuit quasi fermé.

En limitant l’extraction de nouvelles ressources, l’entreprise a même obtenu de la préfecture un gel d’extension de carrière de 30 ans, prouvant que performance économique et préservation de l’environnement peuvent aller de pair. Leur modèle repose également sur une logistique optimisée et des circuits courts, les gravats étant traités localement dans un rayon de 5 km, ce qui réduit les émissions liées au transport. Bien que le Recycat 66 soit vendu au même prix que le gravier conventionnel, son adoption reste un défi. Pourtant, pour Jean et Jérôme Vaills, l’enjeu environnemental prime sur la seule rentabilité : « Notre objectif est de travailler pour la prochaine génération. Et la suivante. »

Au Moulin Saint Pierre : L’agriculture roussillonnaise réinventée face au défi climatique

Face à l’urgence climatique et à la raréfaction de l’eau, Victor Planes, à la tête du domaine familial du Moulin Saint Pierre dans la plaine roussillonnaise, incarne une agriculture moderne et résiliente. Ayant constaté une chute drastique de sa production d’huile d’olive – « En 2022, on a produit 35 000 litres d’huile d’olive, l’année suivante à peine 10 000. Une différence énorme… ça marque. » – Victor a intensifié une démarche d’adaptation initiée depuis des décennies.

Le domaine a opté pour des solutions concrètes, comme l’abandon des cultures trop gourmandes en eau au profit de plantations d’oliviers plus sobres, adaptées à la garrigue et permettant une récolte mécanisée. Des techniques ancestrales ont été remises au goût du jour, tel le travail du sol après les pluies pour conserver l’humidité. L’innovation technologique est également au cœur de leur stratégie : une plateforme numérique pilote l’irrigation en temps réel, offrant une réactivité inédite pour gérer les apports en eau.

Victor Planes milite aussi activement pour une intégration des agriculteurs dans la gouvernance de l’eau, déplorant l’inertie administrative face à des projets cruciaux comme les retenues collinaires. « Il ne faut pas quatre études écologiques avant d’agir. Il faut une décision, et le lendemain des machines dans les champs », affirme-t-il. Visionnaire, il envisage déjà l’avenir de l’agriculture avec l’intelligence artificielle et l’autonomie énergétique, démontrant que l’agriculteur d’aujourd’hui est aussi un artisan polyvalent, capable de s’adapter et d’innover pour les générations futures.

Le Sud Roussillon, pionnier de la gestion de l’eau face au stress hydrique

Depuis plus de vingt ans, la Communauté de communes Sud Roussillon, regroupant six municipalités méditerranéennes, a mis en place une politique novatrice de gestion de l’eau, anticipant le stress hydrique. Sous l’impulsion de son président, Thierry Del Poso, un réseau étendu de tuyaux d’eau potable et un système parallèle d’eau brute ont été déployés sur l’ensemble du territoire, y compris dans les nouveaux lotissements, afin d’assurer la continuité des services en toutes circonstances.

L’innovation centrale de cette démarche est la réutilisation des eaux usées. Chaque année, deux millions de mètres cubes d’eau étaient auparavant rejetés en mer. Pour y remédier, la communauté a investi 3,5 millions d’euros dans une unité de traitement de pointe. Grâce à des technologies comme la nanofiltration et les ultraviolets, l’eau atteint désormais une qualité exceptionnelle (catégorie A, voire A+), comparable à celle utilisée pour l’agriculture biologique en Espagne. Cependant, son utilisation en France est toujours limitée par des contraintes administratives, même si des essais sont en cours pour l’approvisionner aux agriculteurs locaux.

Ce projet n’est pas seulement technique, il vise aussi à soutenir l’agriculture locale en proposant cette eau traitée à un tarif très abordable. L’objectif est clair : forger un modèle résilient et coopératif qui prévienne toute division dans l’usage de l’eau.

La commune de Saint-Cyprien a été la première à mener une étude exhaustive sur la perméabilité des sols, un instrument précieux pour adapter les infrastructures et accompagner la transition hydrologique du territoire. Cette initiative souligne que la gestion de l’eau est une stratégie à long terme, bien au-delà de la simple technique. L’approche visionnaire du Sud Roussillon pourrait servir de modèle pour d’autres régions confrontées au stress hydrique.

Maison Gaïa : L’hôtellerie catalane entre Sobriété et engagement local

Au cœur de Torreilles, à 5 km de la côte, l’hôtel quatre étoiles Maison Gaïa bouscule les codes de l’hôtellerie balnéaire classique. Loin des grandes chaînes, David Fournier a créé un établissement de 15 chambres à taille humaine, profondément ancré dans son territoire et dès sa conception, axé sur la durabilité. Un des piliers de cette démarche est la récupération des eaux grises (douches et lavabos), retraitées et réinjectées dans les toilettes. « Ça nous permet d’éliminer la consommation de 17 WC », explique-t-il, soulignant une sobriété en phase avec les défis hydriques locaux. « Depuis que je suis né, j’entends qu’il faut faire attention à l’eau parce qu’on est sur le territoire le plus sec de France métropolitaine. J’ai décidé de passer à l’acte. »

La Maison Gaïa mêle écologie et confort ouvre toute l’année. L’hôtel dispose d’un sauna, hammam et d’une petite piscine chauffée, tout en minimisant sa consommation grâce à une isolation renforcée, des mousseurs, et une récupération optimisée de la chaleur. « On est un très petit consommateur d’énergie. En janvier, la consommation était de 2 000 euros d’électricité pour un hôtel de 15 chambres avec tous les équipements. » La prochaine étape inclut l’installation de 60 panneaux photovoltaïques discrètement intégrés aux toits.

Le projet dépasse le cadre du bâtiment : David Fournier a imaginé son hôtel comme un véritable écosystème misant sur le circuit court. Confitures de Sournia, yaourts d’Err, linge traité par un ESAT local… « Produire pour le petit-déjeuner en circuit court, c’est une autre manière de faire découvrir le territoire. »

Bien que l’engagement écologique ne soit pas le critère premier des clients (« ce qui prime, c’est la qualité de la chambre »), il en fait un levier de fidélisation. L’adaptation est pour lui une question de survie économique. Confronté directement à la montée des eaux ayant contraint sa guinguette de plage à se déplacer en urgence, David constate : « Là, on subit le changement climatique de plein fouet. On a perdu plus de 50 mètres de plage depuis 2012. » Cette lucidité nourrit une philosophie d’entrepreneur pragmatique : « En tant que citoyen, je dirais qu’il faut sur les enjeux environnementaux. Mais en tant que chef d’entreprise, tant que c’est différenciant, ça m’arrange. »

Les Forges de Niaux : l’industrie du futur entre autonomie hydrique et décarbonation

À Pamiers, en Ariège, la nouvelle usine des Forges de Niaux illustre un modèle industriel avant-gardiste. L’entreprise a innové en se dotant d’une autonomie hydrique complète, un choix audacieux dès la conception du bâtiment. Grâce à 9 000 m² de toiture, elle récupère les eaux de pluie, les stocke, les filtre et les régule via un système souterrain, éliminant ainsi toute dépendance au réseau public. Ce processus simple mais rarement appliqué à cette échelle industrielle, permet aux Forges de Niaux de satisfaire l’intégralité de leurs besoins en eau, même dans une région moins soumise au stress hydrique.

Parallèlement à cette gestion de l’eau exemplaire, l’usine a opéré une transition énergétique majeure. Elle a remplacé une douzaine de fours à gaz par des équipements majoritairement électriques à induction, ce qui a entraîné une réduction spectaculaire de près de 70 % de ses émissions de gaz à effet de serre. Cette transformation a été gérée en interne par une équipe pluridisciplinaire, couvrant des domaines variés comme la métallurgie, l’informatique, l’automatisation et la robotique, faisant des Forges de Niaux un véritable laboratoire de l’industrie en transition.

Malgré ces efforts pionniers, Laurent Pineda, directeur général, souligne un manque de reconnaissance concrète pour les entreprises engagées dans la transition. Il appelle à une législation gouvernementale qui récompenserait les « bons élèves », regrettant que les industriels exemplaires paient le même prix de l’électricité que les autres. Selon lui, des incitations différenciées seraient bien plus efficaces que de simples discours pour accélérer la transition écologique de l’industrie. Les Forges de Niaux continuent d’avancer, démontrant qu’une sobriété choisie est un chemin viable et prometteur.