Les Côtes-d’Armor, territoire breton à l’économie basée depuis des décennies sur l’agriculture, la pêche et l’agroalimentaire, font face à des défis environnementaux, économiques et sociétaux. Malgré cette pression, la région s’adapte collectivement. La 24ème Routes des transitions est allée à la rencontre de bretons tous engagés à leur manière dans la transformation agricole locale.
Avec près de 610 000 habitants et un taux de chômage de 6,1 %, les Côtes-d’Armor sont un acteur majeur du modèle agricole breton. En 2020, le département recensait plus de 7 300 exploitations agricoles sur 433 768 hectares, dont 10 % en bio, se positionnant 1er pour les poules pondeuses et 2e pour les porcs et le lait, avec 1 443 élevages porcins. Cependant, cette intensité a des conséquences environnementales : deux tiers des rivières affichent 25 à 50 mg/l de nitrates et 90 % des cours d’eau contiennent des traces de pesticides. Des défis climatiques sont également prévus à horizon 2100.
Le groupe Le Graët, 800 salariés, incarne une résilience agro-industrielle singulière. Son activité est axée sur 4 pôles : les surgelés, la conserverie de viande et de poisson, la pet food et le mareyage. Son attachement au territoire est profond, comme en témoigne Celtigel, où « on est à 66 % d’achats de matières premières et emballages en France, dont 47 % en Bretagne », selon Justine Lossois, responsable RSE, une orientation « presque intuitive ».
Le groupe a créé une fondation, il y a un an pour soutenir l’insertion professionnelle locale, non pas « forcément pour embaucher ces personnes, mais pour qu’elles trouvent un emploi ici, sur notre territoire ». Tous les salariés bénéficient de la participation et de l’intéressement, et « personne n’est au SMIC dans nos usines », précise Justine Lossois.
L’exemple de Celtarmor illustre une RSE précoce et coopérative : il y a 30 ans, face à la détresse des pêcheurs de Saint-Brieuc, le père de Valérie Le Graët, directrice générale du groupe familial, a co-créé une entreprise de transformation de coquilles Saint-Jacques à 50 mètres de la criée. Pour Valérie Le Graët, « c’est ça la vraie RSE, bien plus que d’installer quelques ruches à côté de nos bureaux ». Les efforts collectifs ont permis de réduire de 20 % l’énergie consommée à la tonne produite entre 2019 et 2024.
Cependant, l’avenir n’est pas sans défis, notamment pour la filière pêche, menacée par les politiques européennes de réduction de la flotte. Valérie Le Graët se dit « très inquiète » de la diminution des bateaux et de l’activité pour les mareyeurs. Heureusement, le pôle traiteur est en plein essor, basé sur modèle d’« artisanal industrialisé ». En conclusion, Valérie Le Graët affirme : « Ce territoire, c’est notre socle, notre moteur, et notre responsabilité ».
À deux pas de Lamballe, Glenn Simon dirige une importante exploitation porcine de 600 truies. Âgé d’une quarantaine d’années, il aborde son métier avec une approche entrepreneuriale rare dans le secteur agricole, où la transmission familiale est la norme. Pour lui, l’élevage est un métier, non une vocation éternelle, et il a dès le départ structuré son entreprise pour qu’elle soit facilement transmissible s’il décidait un jour de changer de voie.
Dès ses débuts, Glenn a privilégié une gestion individualisée de son troupeau, délaissant les lots pour une approche centrée sur chaque animal. Soucieu du bien être animal, il a investit dans de nouvelles installations où les porcs seront élevés en liberté, allant au-delà des obligations réglementaires. Il a également mis fin à la castration à vif, inutile avec ses pratiques.
Malgré un contexte difficile marqué par les injonctions à la transition écologique et une concurrence internationale féroce, Glenn Simon garde une feuille de route environnementale claire. Il est favorable à la décarbonation et aux investissements, mais reconnaît la difficulté d’aller « plus vite que la musique » face aux contraintes économiques. Il priorise ainsi l’installation de panneaux photovoltaïques avant la rénovation des bâtiments.
Au-delà de l’aspect technique, Glenn Simon a mis en place un modèle social basé sur la responsabilité partagée avec ses quatre employés. Il favorise une organisation horizontale où chacun est autonome. Ses salariés sont encouragés à prendre des décisions et à appeler eux-mêmes les vétérinaires, reflétant sa confiance et son plaisir à travailler en équipe.
Dans les dix prochaines années, Glenn Simon aspire à un système plus résilient et autonome. Des chantiers majeurs sont déjà prévus : réaménagement des bâtiments, acquisition de terrains pour l’autonomie alimentaire et production de biogaz. Il continuera de défendre les valeurs d’exigence technique, de respect des animaux et de confiance en son équipe, prouvant qu’il est possible de rester ancré tout en se transformant.
La Cooperl, coopérative bretonne fondée en 1966 et basée à Lamballe, incarne un modèle intégré et puissant dans le secteur porcin français. Avec ses 3 000 adhérents et 7 000 salariés, elle assure 20% de la production nationale de porcs en gérant l’intégralité de la chaîne, de l’élevage à la valorisation des coproduits.
Ce modèle intégré lui permet de piloter sa transition environnementale de manière systémique, transformant les contraintes en véritables leviers d’innovation. Depuis plus de 30 ans, la Cooperl développe des outils pour valoriser ses « déchets », produisant aujourd’hui engrais, chaleur, biocarburant et même de l’héparine à partir de ce qui était autrefois des externalités négatives. Un exemple frappant est la fourniture de 70% du chauffage en eau chaude de Lamballe, alimenté par le biogaz issu des boues d’abattoir et des effluents d’élevage.
Cette logique circulaire s’appuie sur une recherche constante de gains environnementaux, mesurés par des analyses de cycle de vie (ACV) qui démontrent une empreinte carbone du porc Cooperl inférieure de 8,6% à la moyenne nationale. Ces résultats sont le fruit de mesures concrètes : arrêt de la castration à vif, maîtrise de l’alimentation, réduction des antibiotiques et sélection génétique.
L’approche de la Cooperl ne se limite pas à une stratégie d’entreprise ; elle implique et accompagne activement ses éleveurs. Plutôt que d’imposer, la coopérative incite, soutient et finance leurs efforts de progrès, intégrant chaque producteur dans un référentiel de performance. Ce travail collectif repose sur un socle de valeurs partagées et une écoute attentive des besoins des adhérents.
Consciente des fortes pressions sociétales, la Cooperl s’efforce de construire un modèle à la fois durable et compétitif pour maintenir la production porcine en France. Elle avance méthodiquement, sur des bases industrielles solides et des convictions partagées, affirmant son obligation de s’adapter de manière juste, cohérente et surtout collective.
Au cœur de la Bretagne, la communauté de communes de Loudéac Centre Bretagne s’est engagée dans une voie originale pour sa transition énergétique. Face à l’explosion des coûts liés à l’énergie et au traitement des déchets dès les années 2010, une « urgence économique » a conduit le territoire à transformer ces contraintes en ressources locales.
Le virage décisif fut l’implantation d’un méthaniseur industriel de 90 000 tonnes, dont la collectivité détient 35 % des parts aux côtés de Total Énergies. Cette participation stratégique permet à Loudéac de garder la main sur ses décisions. Le méthaniseur traite boues d’épuration, déchets agroalimentaires et lisiers agricoles, créant une véritable boucle circulaire : le lisier est collecté, traité, et le digestat enrichi est retourné aux champs, réduisant ainsi le besoin en engrais chimiques.
L’ambition de Loudéac ne s’arrête pas là. La collectivité a également investi dans une chaufferie biomasse et un réseau de chaleur de 9 kilomètres. Grâce à un important parc éolien, Loudéac est devenu le premier territoire costarmoricain en production d’énergie renouvelable. Le méthaniseur alimente déjà l’équivalent de 15 000 habitants en gaz, et le territoire vise une autonomie énergétique via un mix bas carbone, incluant bois, vent, lisier et électricité nucléaire décarbonée. Vingt-deux projets sont en cours, dont un prototype de gazéification thermique, dans l’objectif de créer un micro-grid, un réseau électrique qui rendrait le territoire complètement autonome.
Cette stratégie s’inscrit dans un projet d’aménagement plus vaste : faire de la plus grande zone industrielle de Bretagne (400 hectares, 150 entreprises) une zone bas carbone de référence. L’idée est de mutualiser énergies, flux et déchets entre les entreprises. « On veut une zone du futur. On sait que le modèle agri-agro est en train de se transformer, et on veut accompagner cette mutation », affirme Franck Le Provost, directeur général.
Instance politique du Crédit Agricole, la Fédération nationale du Crédit Agricole est une association loi 1901. Ses adhérents sont les Caisses régionales, représentées par leurs présidents et leurs directeurs généraux.
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