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Rencontre avec Axelle Lemaire

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Innovation

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Interview Axelle Lemaire, directrice développement durable, Sopra Steria
Axelle Lemaire, directrice exécutive durabilité et responsabilité sociale de l'entreprise chez Sopra Steria, ancienne secrétaire d'Etat en charge du numérique et de l'innovation. DR.

Interview – L’ancienne secrétaire d’État en charge du numérique et de l’innovation, Axelle Lemaire, est aujourd’hui directrice exécutive durabilité et responsabilité sociale de l’entreprise chez Sopra Steria. Elle nous parle de son métier, de la place de l’innovation et de la responsabilité sociétale des entreprises dans un monde en pleine mutation.

ca.info : Sur la présentation de votre profil sur LinkedIn, on peut lire : « Internationaliste et européenne dans l’innovation, le numérique et la data au service du développement durable et du numérique responsable. »  Ce prisme international est-il indispensable, selon vous, pour répondre aux enjeux du développement durable et du numérique responsable ?

Axelle Lemaire : Vous connaissez la légende du nuage de Tchernobyl qui se serait arrêté à la frontière… Les sujets environnementaux, qu’ils concernent le changement climatique, la raréfaction des ressources halieutiques ou la disparition de la biodiversité, ne se soucient pas du découpage des juridictions nationales. Quant aux technologies numériques, elles transcendent aussi les frontières pour connecter en temps réel près de 5 milliards de personnes. Ce serait une erreur de ne pas penser monde, et a minima Europe, quand on aborde ces thèmes. Ce que l’on fait d’un côté a des conséquences ailleurs, et le retour de boomerang est garanti sous une forme ou une autre. Être en charge de la responsabilité d’une seule entreprise, c’est donc forcément se poser la question de son rôle au sein d’une chaîne de valeur élargie.  A titre personnel, je pense d’ailleurs que le prisme international est utile dans toutes les situations de travail et de vie, car il aide à prendre du recul et à regarder les défis autrement.

ca.info : On associe souvent l’innovation aux nouvelles technologies. Ces dernières ont-elles aussi un rôle à jouer dans l’innovation sociale ?

A.L. : Traditionnellement, les ingénieurs pensent les technologies d’un côté, et de l’autre les designers ou les sociologues vont définir et observer les usages liés à ces technologies. Par ailleurs, le champ de l’innovation sociale, qui permet d’imaginer de nouveaux usages visant à remplir des objectifs à fort impact social, est souvent éloigné du monde des technologies. Or en soi, la tech n’est pas neutre ; elle prend tout son sens dans la façon dont elle est utilisée. Pour favoriser l’innovation sociale, il est essentiel de partir des besoins et des réalités sociales. En tant qu’entreprise de services numériques, nous avons le devoir de rendre le numérique accessible à toutes et à tous, notamment aux publics vulnérables. Nous le faisons dans les projets menés pour nos clients comme dans les initiatives soutenues par la fondation Sopra Steria-Institut de France.

« Désormais, les responsables développement durable font partie des comités exécutifs, ils sont écoutés des conseils d’administration, leur travail est scruté par les analystes, les managers peuvent voir leur rémunération variable dépendre de certains critères extra-financiers, et la question de la performance plurielle de l’entreprise est abordée sous l’angle financier comme extra-financier. »

ca.info : Comment innover sans impacter davantage notre planète ? Connaissez-vous l’impact environnemental net des nouvelles technologies ?

A.L. : La courbe d’évolution des émissions de GES du secteur du numérique évolue dans le sens contraire aux objectifs fixés par l’Accord de Paris. En 2015, j’étais membre du gouvernement, et le sujet de l’impact environnemental du numérique était alors tabou chez les acteurs industriels. Aujourd’hui, la prise de conscience est plus forte : le numérique représente entre 3 et 4 % des émissions mondiales (source : Arcep, mars 2024), et sa croissance est exponentielle. Oui, il est possible d’écoconcevoir les services numériques, et de recourir à des méthodes d’analyse des impacts pour optimiser la consommation d’énergie liée aux centres de données. Mais la réalité, c’est que la facture énergétique va exploser avec l’intelligence artificielle générative. Un tel constat doit forcer à poser la question de l’adéquation entre les besoins et les moyens : comment se satisfaire d’un numérique essentiel, et éviter le numérique superficiel ? Ce paradoxe rend un peu schizophrène, car une partie des solutions à l’adaptation de la planète au dérèglement climatique se trouvera dans les recherches menées grâce à des technologies numériques.

ca.info : Vous êtes aujourd’hui directrice exécutive de la durabilité et de la responsabilité sociale de l’entreprise chez Sopra Steria – Pouvez-vous nous parler, de manière générale, de la place des directions RSE dans la stratégie des entreprises ?

A.L. : Cette place a évolué. La France a été pionnière pour faire émerger des expertises RSE autour du suivi des mesures d’atténuation des externalités négatives (ndlr : quand la production ou la consommation d’un bien, d’une ressource ou d’un service nuit à une tierce partie ou à l’environnement). Mais sans que les directions générales et les investisseurs ne s’en soucient tellement, sauf exception. Désormais, les responsables développement durable font partie des comités exécutifs, ils sont écoutés des conseils d’administration, leur travail est scruté par les analystes, les managers peuvent voir leur rémunération variable dépendre de certains critères extra-financiers, et la question de la performance plurielle de l’entreprise est abordée sous l’angle financier comme extra-financier. Plus on se rapproche du modèle d’affaires, plus cela suppose de travailler en étroite collaboration avec l’ensemble des métiers et des opérations. Le développement durable devient une condition de l’action et de la valeur, et de la valeur de l’action !

ca.info : L’Europe a fixé de nouvelles normes et obligations extra-financières (CSRD). Elles concernent les grandes entreprises et les PME cotées en bourse. Quel réel impact ont-elles ?

A.L. : On entend plusieurs décideurs dénoncer cette directive européenne. Selon moi, c’est qu’ils n’en ont pas compris l’importance et la portée. Le texte, en obligeant les entreprises à publier un nombre important d’informations extra-financières, fait de la transparence un outil au service de l’agenda de développement durable. Il établit une équivalence entre performance financière et extra-financière, ce qui ouvre la voie à des réflexions et décisions nouvelles et très intéressantes : comment créer plus de valeur durable ? Comment valoriser nos impacts positifs sur la société et l’environnement ? Comment accélérer notre transition et celle de nos clients ? De plus, la CSRD offre un cadre normatif comparable dans tous les pays européens, c’est donc une chance pour une entreprise comme Sopra Steria qui est si présente en Europe. Le tout à traduire en points de données en format numérique, facilement réutilisables pour se comparer et s’améliorer. C’est donc une tentative d’objectiver la réalité des efforts des entreprises inscrits dans des trajectoires de progrès. Alors oui, c’est du travail, oui, cela prend du temps, mais c’est un travail qui va dans le sens d’une plus grande prise en compte du rôle joué par les entreprises pour répondre aux défis sociaux et environnementaux du siècle.

« Le prochain pari à relever (…) consistera à se focaliser sur la création d’emplois pérennes et à apporter des solutions de rupture susceptibles d’avoir des impacts environnementaux et sociaux vraiment positifs. Je reste persuadée que cela passe par le maillage territorial et la capacité à innover là où on a choisi de le faire. »

ca.info : Innovations, nouvelles technologies, tendances disruptives… Comment faire pour les rendre accessibles à toutes et à tous et embarquer tout le monde dans ce nouveau monde ?

A.L. : Si le numérique offre de formidables opportunités pour faciliter le quotidien des publics vulnérables, il est aussi essentiel de veiller à ce qu’il soit accessible à toutes et à tous. Postuler un emploi, renouveler ses papiers d’identité, accéder à ses droits sociaux, suivre la scolarité de ses enfants, etc. :  aujourd’hui, il faut se connecter pour accéder à la plupart des services du quotidien, alors même que 45 % des Français estiment ne pas pouvoir profiter pleinement des outils numériques et d’internet (Baromètre du Numérique 2024). Il y a donc un enjeu d’inclusion sociale, qui ne peut être pensée qu’à travers une démarche globale, avec un accompagnement humain autour des usages numériques, en s’appuyant notamment sur les acteurs du social et du territoire (mairies, médiathèques, etc.). En tant qu’entreprise de la tech, nous avons une responsabilité dans la lutte contre l’illectronisme, notamment en créant des services numériques accessibles et simples, répondant à un réel besoin et qui puissent bénéficier à toutes et à tous.

ca.info : Il y a dix ans, le premier Village by CA ouvrait ses portes à Paris. Vous êtes venue plusieurs fois à la rencontre des créateurs d’entreprise innovantes. Quel regard portez-vous sur l’évolution de l’entrepreneuriat en France et plus précisément sur le monde des start-up ?

A.L. : Oui et je conserve un très bon souvenir de mes visites dans les Villages du Crédit Agricole ! J’y ai même passé un après-midi entier à Paris, en 2018, pour me former à l’informatique quantique ! Depuis, je pense que le pari culturel du regard posé sur l’entrepreneuriat en France a été remporté : créer sa start-up n’est plus perçu comme une aventure isolée ou un projet farfelu. L’écosystème a connu une croissance remarquable, en nombre d’entrepreneurs et d’entrepreneuses, de levées de fonds, de structures accompagnatrices et surtout de marchés, produits, services et solutions créés. Le prochain pari à relever, il est presque plus compliqué : il consistera à se focaliser sur la création d’emplois pérennes et à apporter des solutions de rupture susceptibles d’avoir des impacts environnementaux et sociaux vraiment positifs. Je reste persuadée que cela passe par le maillage territorial et la capacité à innover là où on a choisi de le faire.

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