La vache tigre de Corse

Au cœur du maquis corse, non loin de la plage du Taravu, Jacques Abatucci, client du Crédit Agricole de la Corse, façonne depuis vingt ans une exploitation agricole où chaque geste vise à renouer avec l’essence même de l’agriculture insulaire. Sur ses terres ancestrales, où sa famille vit depuis dix-huit générations, il élève des vaches « tigres » endémiques, reconnues pour la qualité exceptionnelle de leur viande. Après avoir hérité de sa grand-mère de deux vaches de cette race, il développe un modèle fondé sur la biodiversité naturelle, loin des standards industriels. « Aujourd’hui, tout est fait pour regrouper, standardiser, produire vite. Moi, je préfère laisser le rythme naturel guider mon troupeau », explique-t-il en montrant ses pâturages vallonnés, où poussent oliviers sauvages et chênes.

Chez lui, pas d’insémination artificielle : la reproduction se fait librement, dans le respect du cycle animal. Son cheptel paisse paisiblement sur ses terres avec vue imprenable sur la mer. « Ici, le maquis, c’est notre meilleur aliment », sourit-il. Résultat, ses viandes affichent un taux d’oméga-3 exceptionnel. Pour aller jusqu’au bout de sa démarche, Jacques Abatucci a également créé son propre abattoir, pensé pour limiter au maximum le stress animal. C’est le seul et unique abattoir fermier de France, obtenu de haute lutte auprès des institutions. Conçu avec soin, il permet aux bêtes d’être abattues dans des conditions respectueuses et avec un minimum de stress. L’équipe qui y travaille, des jeunes du village voisin, est formée et impliquée. « C’est plus agréable pour les animaux, mais aussi pour nous. » Une façon de maîtriser toute la chaîne, de la naissance des veaux jusqu’à l’assiette. Il vend d’ailleurs sa production en direct, sur place ou via Internet, en Chronofresh.

Apprendre à hybrider modernité et techniques ancestrales

Issu d’une lignée de militaires, de notaires et d’agriculteurs ayant marqué l’histoire corse depuis le XV^e siècle, Jacques Abatucci revendique une approche enracinée et pragmatique. « On n’invente pas. Depuis l’Antiquité, on savait cultiver, gérer l’eau, travailler avec le climat, faire avec des ressources comptées », rappelle-t-il. Avec passion, il milite pour la réhabilitation des canaux d’irrigation ancestraux et le retour de retenues collinaires, aujourd’hui abandonnées mais qui pourraient, avec les technologies modernes, redevenir un levier clé pour l’autonomie alimentaire insulaire. « Il faut apprendre à hybrider modernité et techniques ancestrales. On pourrait imaginer, par exemple, des systèmes d’écluses connectées, permettant de piloter à distance l’irrigation en canaux à l’air libre en fonction des besoins réels des cultures et de la météo. On pourrait faire de l’agriculture de précision, mais avec des infrastructures adaptées à notre territoire », imagine l’agriculteur.

À ses yeux, l’avenir de la Corse passe par une agriculture à haute valeur ajoutée, capable de conjuguer tradition et innovation, sans céder à l’industrialisation massive. Une agriculture où l’eau est gérée avec intelligence, où l’élevage respecte le vivant, et où l’ancrage au territoire prime sur les effets de mode. « Ce n’est pas en copiant ce qui se fait ailleurs qu’on réussira. C’est en valorisant ce que nous avons de plus précieux : notre terre et notre savoir-faire. » Dans ses yeux, brillent à la fois l’amour de sa terre et de son histoire et la détermination farouche de préparer l’avenir pour laisser une terre belle et nourricière aux générations futures.